vendredi 4 avril 2014

Au son du punk rock tant de poings se sont levés

J’ai découvert Heyoka à la sortie de leur démo, il y a à peine quelques années, ça devait être en 1992. On était 4 punks dans une R5 sur un parking d’une proche «banlieue» d’Annecy. J’habitais une ville à 40km de là, où le paysage appartenait à l’usine Pechiney. On était le bled noyé dans la poussière d’aluminium sous le viaduc de l’autoroute. Depuis la mort des bérus, j’animais une émission de radio punk appelée «Macadam massacre», comme c’est original. C’est comme ça que j’ai fait la rencontre des punks annéciens. À l’époque, pas d’internet, on s’envoyait des lettres pour se dire comment on s’aimait ou pas, et se filer rencard. Si ma zone de villégiature punk était Genève, en faisant leur connaissance je découvrais les concerts à Annecy et l’esprit franchouillard. Les Suisses avaient vraiment un temps d’avance et je suis content d’avoir vécu ma jeunesse punk parmi eux. Il n’y avait pas comme chez nous ce jugement du look, ces préjugés sur ce qui est punk et ce qui ne l’est pas. C’est donc un soir de concert, peut-être après Les Rats ou les Ludwig, qu’un des punks d’Annecy, dans une R5, sur un parking de «banlieue», m’a donné cette copie de démo K7. Le CD existait à peine mais on avait inventé le double K7 qui nous permettait d’être des pirates qui selon les majors devaient couler le marché de la musique et des arts... Il semblerait qu’on n’y soit pas arrivé.
La démo à peine mise dans le radio K7, ce fut un parfait coup de foudre, comme avant avec les Bérus, ou Conflict, ou GBH ou les Shériff (oui, bon hein, au point où j’en suis, autant tout avouer). Heyoka c’était un style musical propre au groupe, où il y avait autre chose que 3 accords en barré. Et c’est sans doute la force d’un groupe ou d’un artiste de s’inscrire dans un courant mais d’y créer son propre style. Jouer comme ça, après ça, c’était faire du Heyoka. Ensuite, une voix féminine, que j’ai adorée. Pour mes fournisseurs de K7, Heyoka était un groupe d’Annecy. Cette confusion venait sans doute qu’une des chanteuses était bien d’ici. C’est peut-être comme ça qu’ils ont pu mettre la main aussi vite sur cette démo. On n’était pas au Moyen-âge mais la circulation des disques était difficile dans nos contrées. Le seul disquaire de ma ville était le vendeur de télé et on y trouvait surtout Claude François, Les Forbans, et Pierre Bachelet. Par contre, c’est bien dans le Monoprix rue de la Ré que j’ai chourré la jaquette de la K7 de Concerto pour détraqués. La jaquette, pas la K7, je l’avais déjà copiée, pas besoin de l’original. Une copie avec une jaquette d’origine, c’est la classe et ça fera dire à ma cousine, «y sont cons les punks, c’est une belle pochette et dedans c’est une K7 copiée». 
Heyoka, c’étaient aussi ces chœurs «ohéholalala» qui nous permettaient de gueuler derrière les micros à la radio puis dans leurs concerts. Et par dessus tout, les textes avec ces phrases qui sonnaient comme les slogans de notre révolte et qui sont restés jusqu’à aujourd’hui. La première chanson était Cris de colère. Enfin, je crois que c’était la 1ere. Y’avait cette notion d’Est-Ouest qui venait de disparaître et qu’on était dans la même révolte que ceux qui avait grandi de l’autre côté du rideau de fer. Ça collait à l’époque, à l’Histoire et ça commençait comme ça : « Regarde dans la rue, la jeunesse perdue ». Pour un punk de moins de 20 ans, ça te parle tout de suite, tu sais que c’est toi, tes potes, quand tu traînes dans la rue avec tes docs usées jusqu’à la chaussette, les cheveux colorés, les regards des passants, nos regards sur les passants. Nous qui étalions notre rejet d’un monde qui n’en finit pas de crever et qu’on aurait bien achevé tout de suite avant d’y passer, d’être rattrapé, de finir comme les autres à chercher du taf, éléver ses gosses. Et la chanson, elle continuait comme ça : « Mais le bout du tunnel est encore bien loin, si la jeunesse rebelle ne prend pas son destin en main ». C’était limpide. Pendant que certains se marraient en écoutant cette daube de Sonia des Komintern, toute la merde sexiste qui persiste encore était résumée dans cette phrase de la Mort à deux : « N’apprend-on pas aux petites filles d’être les servantes de leur mari ?». Du coup, j’essaye aujourd’hui que ma gosse ne devienne la servante de personne. La mort à deux m’inspirera Vie d’famille pour un autre groupe bien des années plus tard. Enfin, les «oh hé oh» de Contingent déserteur m’ont bien hanté quand j’ai subi leur merde militaire des 3 jours qui me vaudront d’être objecteur. Comment ça leur fait aujourd’hui aux jeunes quand ils entendent cette chanson ? 
Oui, cette démo, ça a été l’adhésion parfaite dès le début. Ensuite, j’ai quitté ma petite ville natale pour la grande ville, découvrir ses multiples punks militants qui m’ont ôté mes derniers clichés, nos manifs endiablées, nos lieux de vie colorés auxquels Quartier sauvage collait tellement bien. C’était la fin des années fastes de la rue Burdeau mais il restait le Wolnitza et sa tonne de concerts. Je retrouvais une autre radio, celle des Canuts. Et toujours les Heyoka, qu’on a vus quelques fois. Chez eux à Dijon dans le sous-sol d’un bar, dans la rue avec Manu quand des skinazis nous ont tiré dessus lors d’une manif qu’on appelait pas encore antifa, au festival Skalaire, etc. 
Heyoka s’est séparé, on a tous vieilli, on est presque tous restés dans la scène punk. La nouveauté des concerts en 2000 et quelques, c’est qu’il y a des vieux punks. C’était pas le cas avec ma génération. On était très nombreux à la fin des années 80. Les punks précédents, des années 70, l’avaient été soit de manière éphémère, soit étaient morts, et ils étaient très rares dans nos concerts. La musique avait évolué aussi, ils n’y trouvaient peut-être plus leur compte. Aujourd’hui, en 2000 quelques, on est beaucoup de vieux, le mouvement s’essoufle comme nos corps après 1mn de poggo (pas macho et sans bobo).
J’ai revu Heyoka reformé dans un concert à l’Usine de Genève, là où j’avais fait mes premiers pas dans l’univers du punk. Je n’avais pas oublié les textes, on pouvait toujours faire «ohéholalala» à tue-tête et sautiller avec le sourire pendant 1h30. On n’était plus blasé de la scène, on était reconquis.
Hasard des programmations, je me suis retrouvé plus tard sur la même affiche qu’Heyoka. J’arrivais à ce concert avec tout ce passif, comme tant d’autres je suppose, un peu impressionné, j’avais 15 ans dans un corps de 39. C’est pas forcément un avantage. Il y a eu une adhésion parfaite mais cette fois humaine. Et je me suis embarqué dans un bout d’aventure heyokiste, les contraignant à m’adopter. On en aura passé des bons moments, j’m’en serai fait du beau souvenir. Heuchler sera toujours la bande son de mes visions d’Allemagne, de coktails au concombre au sommet d’une tour, de litres de Mexikaner dans un squat d’Hambourg où résonne encore le Alternative d’Exploited... 
Enfin, me voilà en train de boucler le site heyokiste, comme l’impression d’être celui qui ferme le cercueil. Pour la dernière vidéo, j’avais utilisé Yes Futur. Une chanson sur l’avenir du punk mais écrite au passé composé, j’aurai dû me méfier... 
Merci les amiEs. La bise à la prochaine, impatient de vous retrouver.





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